Startup nation : une balade au salon Vivatech
Du mardi 10 au samedi 14 juin se tenait, au parc des expositions de Paris, la 9ᵉ édition du salon Vivatech. Cet événement, organisé par Publicis et Les Échos, se veut être le vaisseau amiral de la startup nation souhaitée par Macron. Entrepreneurs, investisseurs et institutions publiques se retrouvent une semaine au même endroit pour créer un événement censé représenter le futur et exposer les fleurons de l’entrepreneuriat français. Nous sommes allés rencontrer visiteurs et exposants pour connaître leurs motivations.
Un événement d’ampleur.
Le salon de l’innovation commence dès la sortie du métro, où tous les encarts publicitaires sont réservés. La RATP, la région et des journaux nationaux. Toutes les entités soucieuses de montrer leur modernité technologique ont payé un spot de pub. Lorsque l’on sort de la station, l’ambiance monte à la vue de tous ces jeunes cadres dynamiques, la trentaine, chemises faussement croisées, discutant dans un franglais à faire rougir Molière. Ces jeunes hommes parlent de « scale », de « levée de fonds », et débattent, émerveillés, d’intelligence artificielle.
En tendant l’oreille, j’entends l’un d’eux dire que « Musk n’est pas si terrible ». Interloqué, je décide d’aller à la rencontre de ce jeune homme sûr de lui, barbe de trois jours faussement mal rasée, cheveux coiffés au peigne. Il me raconte être sur « un gros projet en ce moment ». Lui demandant plus de précisions, il me rétorque « que c’est un projet d’ampleur qui changera le monde », mais « qu’il ne peut pas m’en parler de peur qu’on lui vole l’idée ». Ne pouvant aller plus loin, je lui demande son avis sur Musk et ses récents engagements politiques. Il rétorque que « Musk a fait des erreurs, mais il faut essayer pour gagner (…) il a payé cette erreur en bourse et ça ne doit pas nous empêcher de voir toutes les belles choses qu’il a accomplies ». J’ai conclu en lui demandant quand est-ce qu’il souhaitait lancer son projet. Il me répondra simplement « qu’il attend que son manager veuille bien lui accorder sa rupture conventionnelle ». Encore un patron qui n’a pas la vision…
Une ambiance after-work mondaine
Une fois rentrés dans le parc des expositions, nous passons la porte du hall 1. Nous arrivons dans un lieu très dense avec des stands à perte de vue. Les couleurs sont ultra vives et les structures des stands particulièrement hautes ; tout est fait pour attirer l’œil et être vu de loin. En prenant de la hauteur, nous découvrons une vue d’ensemble et pouvons apercevoir les principaux financeurs du salon : Total, LVMH, Orange, L’Oréal et, en énorme, le stand du pays partenaire, le Canada. Ce premier aperçu est un peu surprenant, car au final, peu de porteurs de projets innovants sont mis en valeur, contrairement aux grands groupes qui sont, eux, omniprésents.
En se baladant, on se rend compte que beaucoup d’entrepreneurs sont en fait présents sur les stands régionaux. En effet, les régions ont toutes ramené leurs champions locaux à Paris pour montrer que la startup nation en province, c’est possible. Au stand Normandie, mon regard est attiré par un étrange véhicule ressemblant à une sauterelle. Ce véhicule électrique d’une dizaine de places est destiné au ramassage scolaire et aux petites communes ayant besoin de transporter des usagers. Point central de l’innovation : les passagers peuvent pédaler pour recharger la batterie.
Le dirigeant en charge du projet m’alpague pour me présenter son innovation. Trentenaire à la confiance assumée, diplômé d’une grande école de commerce, il a un pied sur la roue de son véhicule en mode crooner de boîte de nuit. Il est particulièrement fier d’avoir obtenu de nombreux fonds publics pour développer son véhicule et d’avoir déjà signé cent commandes avec diverses communes. Me voyant moyennement emballé par son projet, il me remplace vite par une étudiante beaucoup plus visionnaire que moi.
Plus loin, je découvre un petit stand regroupant tous les labels « made in startup nation », signifiant que le projet a eu beaucoup d’aides publiques et qu’il est censé représenter une innovation porteuse d’avenir. Nous voyons un objet d’environ 1,5 mètre de haut avec un grand tube rempli d’eau éclairé en vert. À première vue, difficile de définir l’utilité de l’objet. L’entrepreneur nous aborde, il a la quarantaine, un air Gainsbourg sans la cigarette, un peu blasé par le salon. Il nous apprend qu’il « a créé un purificateur d’air à base d’algues ». Voyant que nous ne sommes pas très réceptifs à l’innovation, il surenchérit, encore plus blasé : « En fait, ça évite de devoir changer les filtres habituels, c’est beaucoup plus écologique ». Nous partons en lui souhaitant bon courage pour cette journée qui a l’air de lui paraître bien longue.
Même l’État s’y met…
Le salon regroupe de nombreuses entités publiques ; un peu plus loin se trouve le stand des armées. Pour le coup, l’image est assez déconcertante : ce ne sont plus de jeunes trentenaires en chemise qui nous parlent d’IA, mais des militaires en uniforme. L’un d’eux, la quarantaine, bien coiffé, me présente une nouvelle innovation pour la guerre de demain. Il explique, enthousiaste : « Ce logiciel de reconnaissance permet de différencier automatiquement un char d’un camion », et que grâce à ça, « l’on peut automatiser la détection d’engins ennemis ». Alors si l’innovation est un peu flippante, son intégration prochaine à une armée robot l’est encore plus…
Angoissé par les guerres du futur, je décide que ma balade au salon prendra fin au stand France Travail (ex-Pôle emploi). Mon arrivée se fait lors d’une conférence sur l’impact de l’IA sur la vie en entreprise et sur le recrutement des nouveaux « talents ». Ici, le bullshit atteint son paroxysme. Face à nous, cinq spécialistes (qui n’ont pas l’air d’avoir beaucoup galéré à trouver un emploi) nous expliquent l’importance de « monter en compétences » en travaillant ses « soft skills » pour être embauché. L’intervenante nous parle avec passion de ces PME qui créent des « superteams » alliant salariés et IA. Cette dernière pense que le management des ouvriers par une IA va permettre la revanche des cols bleus. Ou bien leur mort…
Pourquois faire ?
En 2016, Macron disait qu’une startup nation « était une nation où chacun puisse lancer sa startup ». En 2025, un billet pour le salon représentant la startup nation coûte minimum 300 € si l’on s’y prend tôt ; un tarif rédhibitoire pour beaucoup de monde. L’impression qui ressort de ce salon est qu’il est très élitiste. Il y a peu de diversité, peu de nouveauté, peu de réelle innovation, et finalement peu d’intérêt. Tout le monde se ressemble, se copie et personne ne sort réellement du lot. Le salon ressemble à un club faussement sélect, renfermé dans un confort bourgeois non dissimulé. Le fait que cet événement mondain soit organisé avec de nombreux fonds publics inquiète sur les priorités de l’État, à l’heure où des hôpitaux et des classes ferment partout en France.
P.R