Skopje : du réac au kitsch.
Skopje est la capitale de la Macédoine du Nord, une ancienne république yougoslave située au nord de la Grèce. Cette ville de 520 000 habitants est devenue, à la suite d’un vaste plan d’urbanisme, la capitale européenne du kitsch. Fini le style moderniste qui caractérisait la ville, place aux palais, aux colonnes et aux statues de style antique. Cette rénovation a été votée dans l’optique de moderniser la ville pour en faire un lieu touristique de premier plan, tout en affirmant une identité nationale macédonienne. Aujourd’hui, le résultat laisse sceptique, se rapprochant plus d’un Puy du Fou nationaliste low cost que de l’Acropole d’Athènes.
Une capitale à construire
Dès son indépendance en 1991, la nécessité de rénover la jeune capitale s’est imposée, car la ville ne disposait pas de bâtiments administratifs suffisamment grands. Si les premières démarches étaient dans un but purement utilitaire, très vite le projet s’est orienté vers un réaménagement complet du centre-ville. En effet, la vieille ville a été détruite à 80 % par un tremblement de terre en 1963, puis reconstruite par la suite dans un style moderniste. Lors de cet événement, la capitale a perdu tous ses bâtiments historiques.
Autre problème, seul le Vieux Bazar de Skopje, quartier musulman rattaché historiquement à l’Empire ottoman, a survécu à la catastrophe. Une offense pour les dirigeants de la jeune république en quête de symboles nationaux et d’identité macédonienne. Dans ce but, le projet initialement utilitaire a vite viré à de l’historicisme obstiné.
Les finitions du parc Astérix…
En 2010, le gouvernement annonce officiellement le plan « Skopje 2014 ». Ce plan prévoit la construction de plusieurs bâtiments de style antique. Même si d’autres ouvrages ont été construits précédemment, c’est à ce moment-là que le projet a définitivement vrillé. Soucieux d’affirmer une identité macédonienne forte, le gouvernement a vu les choses en grand en faisant construire des bâtiments immenses, mais avec des finitions bâclées faute de budget.
Lorsque l’on marche à Skopje, on est vite surpris par l’indécence architecturale de la ville. Des bâtiments et des statues immenses de style antique, de grands bateaux pirates sur la rivière, viennent contrarier le modernisme de la gare et des boulevards. En soi, ce n’est pas moche, tout cela a un charme original, que j’aime bien. Par contre, lorsqu’on s’approche, on voit aisément un crépi qui s’effrite, des bateaux pirates sur des pylônes de béton et des statues aux détails approximatifs.
Le résultat est déroutant, mais d’un point de vue purement touristique, ce n’est pas si mal pour une petite ville, il y a des choses à photographier. Cependant, pour l’objectif initial consistant à affirmer la culture macédonienne, c’est raté. Les autorités qui voulaient démontrer la grandeur de leur nation en construisant une ville grandiose, se retrouvent finalement avec une copie bas de gamme du parc Astérix.
Et l’idéologie Puy du Fou…
Si l’architecture est globalement ratée, la création d’une identité macédonienne l’est aussi. Le gouvernement souhaitait initialement regrouper des symboles macédoniens au centre-ville et dans les musées pour donner un sentiment de fierté nationale. Problème : l’histoire macédonienne s’est écrite sous influence ottomane, grecque, bulgare et serbe.
Et pour construire son histoire, le gouvernement a sciemment volé de nombreuses figures historiques à ses voisins. Voisins qui sont d’ailleurs très énervés, puisque la Bulgarie a annoncé bloquer l’adhésion de la Macédoine à l’Union européenne suite à l’utilisation de certaines figures historiques bulgares.
Mais pire que ça, les autorités conservatrices ont volontairement oublié d’inclure les 25 % d’Albanais dans le récit national pour anéantir toutes velléités nationalistes de la communauté. Cette exclusion vise à marginaliser la communauté, présente au sud du pays et à la frontière avec le Kosovo. Le gouvernement macédonien, en voulant impressionner le monde par la grandeur de son projet, a finalement construit un Puy du Fou low cost, bêtement nationaliste, en volant des figures historiques à tous ses voisins.
Ce projet à 250 millions d’euros (2 % du PIB) est loin de faire l’unanimité. Pour financer ce projet démesuré, le gouvernement a hypothéqué une partie de l’avenir de sa population, pour créer une ville à la symbolique bancale. En cherchant à se créer de toutes pièces une histoire grandiose, la Macédoine s’est probablement encore plus perdue qu’à l’origine.
P.R