procès du RN : les juges, ces nouveaux immigrés ?

Il y a des choses qui ne changent pas, et c’est un peu rassurant. Lorsqu’on entend l’état-major du RN critiquer la justice, on ne peut s’empêcher de se souvenir, un brin nostalgique, des années 90 où Jean-Marie Le Pen enchaînait les condamnations judiciaires comme un jeune Apollon enchaînerait les conquêtes. Ces années où le Front national n’était qu’un frisson, une petite terreur médiatique, avec des succès électoraux localisés, loin de notre réalité quotidienne, finalement. 

Mais aujourd’hui, ces années semblent bien loin. Le bébé de Jean-Marie Le Pen a considérablement grandi et appartient désormais à sa seule héritière légitime : Marine Le Pen. Cette dernière, bien consciente que le linge sale se lave en famille, a pris soin de supprimer toute trace du passé nazillard de son parti. L’opération a duré une dizaine d’années, et rien, absolument rien, n’aura échappé à la jeune première. Changement de vocabulaire, d’identité visuelle, de symboles, renvoi des personnalités problématiques du parti, des infidèles et des ambitieux, allant même jusqu’à envoyer son papou sénile à l’EHPAD. Même si elle n’a pas eu l’ingratitude d’envoyer J.M. Le Pen dans un établissement Orpea, Marine Le Pen a complètement cuisiné le parti de son père à sa sauce, sans pour autant changer une chose : ses idées. 

Même si l’ambitieuse héritière a passé un gros coup de propre dans ses rangs, l’enfant prodigue maintient le cap sur les sujets essentiels : la lutte contre l’immigré et l’État de droit. Les immigrés ont beaucoup subi durant la dernière décennie, cause, selon le premier parti de France, de tous les maux de l’État français. Une hausse du chômage ? Les étrangers prennent le travail des Français. Un manque de main-d’œuvre ? Les étrangers ne travaillent plus. Une pénurie d’œufs dans les supermarchés ? Les étrangers cuisinent trop pendant les repas de Ramadan. Avec ce schéma de pensée, nous savons déjà qui sera responsable de la canicule cet été… 

Mais désormais, un autre ennemi, encore plus féroce, est sorti du bois pour venir contrer l’envolée du RN dans les urnes et les consciences : la justice. Car si Marine Le Pen a donné un sacré coup de propre depuis dix ans, certaines taches sont plus tenaces que d’autres. Cette fois-ci, la tache récalcitrante s’appelle “emploi fictif”. Ou plutôt, usage systémique des fonds européens à des fins personnelles. Car même si Marine Le Pen et sa meute crient sur tous les plateaux télé qu’il n’y a pas eu d’enrichissement personnel, les fonds du Parlement européen ont largement contribué au confort de la famille Le Pen, leur offrant garde du corps, majordome, et des dizaines de salariés pour le parti. Tout cela donne envie d’aimer l’Europe… 

Les juges ont donc considéré, après plus de 10 ans d’enquête et un nombre incalculable de documents à charge, que la bande à Marine devait rendre des comptes au peuple. Pour avoir organisé le détournement de 4,1 millions d’euros (joli nom pour ne pas dire “vol” sur les plateaux télé), Marine Le Pen a été condamnée en première instance à 4 ans de prison dont 2 fermes sous bracelet, 100 000 euros d’amende et 5 ans d’inéligibilité avec exécution provisoire. Mais c’est là que le bât blesse. Car si l’amende est assez faible au regard de l’ampleur de la fraude, l’exécution provisoire empêche Marine Le Pen de se présenter à une élection avant son second procès en appel. Cela lui ferait perdre son siège à l’Assemblée en cas de nouvelle dissolution et, bien sûr, l’empêcherait pour l’heure de se présenter à l’élection présidentielle. 

Donc, puisque le jugement a un impact sur les élections, le tribunal populiste s’est mis en marche dans les médias : Jordan Bardella a déclaré : « La démocratie française est exécutée », Éric Ciotti s’est quant à lui demandé : « La France est-elle encore une démocratie ? », et l’eurodéputé François-Xavier Bellamy a posté sur X : « Un jour très sombre pour la démocratie française ». Même Bayrou, sûrement apeuré de devoir se faire réélire sans barrage républicain, s’est déclaré “troublé par le jugement”. Mais alors, pourquoi les juges ont-ils choisi de déclencher l’exécution provisoire ? 

La réponse peut sembler simple : c’est parce que le temps presse. Dans la loi française, un président en exercice ne peut être attaqué en justice. Son élection repousse donc son calendrier judiciaire de 5 ans. Si Marine Le Pen avait eu la même peine sans exécution provisoire, elle aurait pu faire appel, puis, en cas de confirmation du jugement, aller en cassation. Cette procédure semble impossible en seulement deux ans. Si Marine Le Pen avait été élue, son jugement aurait été suspendu pendant son ou ses mandats présidentiels, la rendant de ce fait intouchable. Elle se serait donc fait élire grâce à un vol de plus de 4 millions d’euros (et de l’argent russe, mais c’est une autre histoire). 

Les juges sont donc désormais la cible de toute une frange du monde politico-médiatique. De quoi permettre aux étrangers de souffler, certes, mais mettant clairement en péril l’État de droit. Le principal argument des pro-Le Pen est que le peuple n’a pas pu choisir. Mais est-ce aux propriétaires de choisir la sanction de leur voisin pour tapage nocturne ? Non, c’est aux juges. Est-ce à la victime de fixer la peine de son voleur ? Non, c’est aux juges. Est-ce aux enfants de juger leurs parents incriminés ? Non, c’est aux juges. Est-ce aux électeurs de juger leurs candidats ? Eh bien non, c’est aussi aux juges. Et ce, quel que soit le score dans les sondages de la personne inculpée. Alors s’il est toujours jouissif de voir condamnée une candidate prônant l’ordre, les peines de prison systématiques et l’inéligibilité à vie pour les élus ayant piqué dans la caisse, il est important de rester droit. Les juges n’ont pas prononcé cette peine pour faire plaisir à un camp, mais pour rendre justice. Toutes les maisons politiques ont été condamnées, à hauteur de leurs péchés, de droite comme de gauche, homme ou femme, favoris à la présidentielle ou conseillers municipaux. Retour donc à l’époque du père, où chaque condamnation donnait lieu à un réquisitoire virulent contre le monde judiciaire. 

Au jour du jugement, 37 % des Français se retrouvent sans candidat. C’est malheureux pour eux, incontestablement rageant, mais il ne faut pas oublier qu’une juge se trouve aujourd’hui sous protection policière pour avoir fait respecter la loi. Loi votée par Marine Le Pen, qui, comme les fantômes de son parti, souhaitait une justice sévère, sauf pour eux et un Parlement européen intraitable avec la fraude, sauf la leur… 

Paul Rabeisen

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