Le présentéisme, un fléau moderne.
Qui n’a jamais vécu le sentiment d’attente, d’après-midi à rallonge et d’ennui en entreprise ? Ce sentiment de n’être là qu’à cause d’un contrat, d’une obligation morale, sans pour autant que sa présence soit nécessaire ou souhaitable ? Combien d’entre nous se sont rendus au travail sans objectifs, sans réellement comprendre ce que l’on attend d’eux, sans perspectives ou indications de sa direction ? Eh bien peut-être pas tout le monde, heureusement, mais pas mal de gens quand même. Si ce sentiment est plutôt commun dans les emplois saisonniers ou les stages, ce ressenti qui perdure au cours de la vie en entreprise porte un nom : le présentéisme.
Moins démocratisé que son opposé l’absentéisme, le présentéisme est un phénomène tout aussi destructeur pour les salariés et les entreprises. Là où l’absentéisme traduit un mal-être qui pousse le salarié à s’absenter, le présentéisme, lui, enferme ce mal-être dans l’enceinte de l’entreprise. Le salarié est bien présent physiquement, mais son engagement réel, sa motivation, ou sa santé mentale sont ailleurs.
On distingue généralement trois types de présentéisme, comprenant chacun des spécificités propres :
Le présentéisme contemplatif : c’est lorsqu’un salarié est physiquement présent sur son lieu de travail mais qu’il occupe son temps et ses pensées par autre chose que du travail. Par exemple, un salarié qui lirait le journal sur son temps de travail ou passerait beaucoup de temps sur son téléphone. Cela peut signifier un manque d’intérêt ou de compréhension de son poste, une lassitude professionnelle ou encore symboliser un désaccord avec l’entreprise.
Le présentéisme stratégique : lorsqu’un salarié reste sur son lieu de travail pour montrer qu’il travaille beaucoup. Ici, l’on parle de stratégie car le salarié faisant ceci le fait en général dans le but d’affirmer sa valeur, afin d’obtenir quelque chose de son manager ou de son employeur (augmentation, recherche d’un nouveau poste, etc.).
Le surprésentéisme : ici, l’on évoque des salariés surengagés dans le projet de l’entreprise. Ce type de collaborateur ne compte pas ses heures pour être le plus impactant possible dans le travail. Les salariés concernés travaillent tard le soir, les week-ends, en vacances et sont joignables à tout moment.
Les actes de présentéisme peuvent donc être subis, stratégiques ou encore contestataires. Les causes du présentéisme peuvent être professionnelles comme personnelles. Un salarié peut aussi bien faire du présentéisme à cause d’une insatisfaction, d’une surcharge de travail ou d’une culture d’entreprise poussant au surdépassement, que pour éviter des problèmes rencontrés dans le cadre familial. Cette multitude de causes rend la compréhension et le repérage de ce phénomène difficiles. Surtout lorsque la culture enracine dans les mœurs ce type de pratique.
La culture française, qui associe le nombre d’heures passées au travail à la méritocratie et à l’engagement professionnel, est un terreau fertile pour cette dérive. Contrairement à d’autres voisins nordiques, la mentalité française encourage le présentéisme par la “valeur travail”. Le fameux “Tu pars à 17h ? Tu as pris ton après-midi ?” lancé par un jeune cadre dynamique, s’inscrit dans cette lignée culturelle. Là où chez beaucoup de nos voisins européens dépasser ses horaires de travail est synonyme de mauvaise organisation et de lenteur, en France, un salarié ne comptant pas ses heures est considéré comme un bon soldat, méritant et pleinement engagé dans le projet.
Or, si le présentéisme semble à première vue bon pour l’entreprise, puisque théoriquement si un employé passe plus de temps au bureau, il est supposé faire plus de tâches, en réalité cette pratique est au mieux contre-productive, au pire destructrice pour les deux partis. Pour le salarié d’abord, puisque ce phénomène peut entraîner de nombreuses complications médicales, notamment du stress, de l’anxiété, des burn et bore-out, des décompressions professionnelles, etc. Côté entreprise, l’impact du présentéisme peut aussi se révéler à long terme néfaste, notamment dû à la dégradation de la qualité du travail et de son climat social. Un trop grand écart dans l’implication des salariés ou dans la répartition du travail peut créer des tensions et faire considérablement baisser la qualité du travail produit. Cette maladie professionnelle touchera autant le salarié stressé que l’entreprise perdant des clients à la suite d’une mission mal exécutée.
Si dans une relation salarié-direction le présentéisme est fréquemment présent, d’autres statuts comme les professions libérales et les indépendants peuvent se retrouver impactés par ce phénomène. À cause d’une demande trop forte ou par peur de perdre des clients, ces professions peuvent rapidement se retrouver dans des situations de mal-être professionnel. Le phénomène est accentué par la culture de ces professions, où une implication de chacun est valorisée et demandée.
Le présentéisme est un phénomène qui touche 74 % des Français, à des degrés d’implication et de conséquences différents. Si pour les indépendants, le présentéisme peut s’estomper par un changement de culture et d’habitudes, dans le cadre d’une relation salarié-direction, cela passe essentiellement par une remise en question du management. Même si les raisons du présentéisme peuvent être professionnelles ou personnelles, le management de l’entreprise se doit à minima d’imposer un cadre de travail propice à l’épanouissement. Une entité valorisant le travail tardif, les heures supplémentaires et la méritocratie horaire ne peut prévenir ce type de dérive. La protection des salariés et de leur bien-être représente un coût dérisoire comparé aux coûts des périodes d’indisponibilité professionnelle. Il est donc nécessaire et d’intérêt commun de prévenir ce phénomène, en faisant évoluer les mentalités et la prévention.
Paul Rabeisen